jugement
qui, en tant que tel, ne peut être que le fruit d’une
conscience subjective (individuelle ou collective). Au sein de cette catégorie, deux sous-groupes peuvent
encore être distingués : les
évaluatifs axiologiques
et les
évaluatifs non axiologiques
. Les premiers
procèdent de tout jugement mettant en jeu des
normes
socioculturelles, et renvoyant aux couples
d’opposés fondamentaux vrai
vs
faux, bien
vs
mal, beau
vs
laid, ainsi que toutes leurs variantes (juste
vs
injuste, utile
vs
inutile, etc.). En corollaire, les évaluatifs non axiologiques expriment une opération de
jugement, mais qui ne repose pas sur de telles normes ; on trouve par exemple dans cette sous-
catégorie des adjectifs tels que
grand
,
froid
,
nombreux
, etc.
Parmi ces divers marqueurs de subjectivité, il faudra
avant tout être attentif aux termes évaluatifs
axiologiques
, dans la mesure où ce sont eux qui, d’une part, engagent le plus la subjectivité d’un
locuteur et qui, d’autre part, convoquent des normes socioculturelles invitant, nécessairement, au débat
d’idées.
Une fois que l’enseignant a mené à bien ces observations et spécifié quelles sont les marques de
subjectivité sur lesquelles il importe de s’arrêter, il demande aux élèves de reconstruire des contre-énoncés
pour chaque item identifié comme une prise de position dans la liste étudiée, en rejetant d’emblée tout
contre-énoncé produit par une simple reformulation négative, et en exigeant que le contre-énoncé soit
forgé sur la base d’antonymes
renversant le point de vue exprimé dans l’énoncé.
Pour cela, les élèves doivent se focaliser sur les termes les plus marqués en termes de subjectivité ; si
plusieurs termes apparaissent comme véhicules possibles de subjectivité, il s’agit d’opérer une gradation
entre ceux-là, afin d’identifier celui qui est par essence le support de l’opération de jugement. Ainsi, dans
l’affirmation de Sarkozy « Le travail libère l’individu », on peut estimer que les noms « travail » ou « individu »
sont porteurs de valeurs – mais celles-ci sont plurielles, productrices d’une ambivalence, raison pour
laquelle on peut déboucher sur une opposition de points de vue ; ce n’est pas le cas en revanche pour le
verbe « libérer », évaluatif axiologique manifeste, dont la valeur positive est par ailleurs univoque. C’est en
ce lieu que s’articule l’opération de jugement, et c’est donc ce lieu qu’il s’agit de faire varier par un
antonyme : « Le travail aliène / enferme l’individu. »
60
Sur ce sujet, on se référera entre autres à l’étude de Catherine Kerbrat-Orecchioni,
L’énonciation. De la subjectivité dans le
langage
(1980 : 70
sqq.
).
Chapitre 5. Construire un problème
Propositions pratiques
91
Enfin, il est également important de faire percevoir aux élèves que, par cette opération de rétablissement
d’un contre-énoncé, ils sont en train de délimiter le cadre d’une discussion, et que ce cadre n’est pas
toujours unique. En fonction de la complexité syntaxique de l’énoncé, et en particulier si ce dernier est
composé de plusieurs propositions, on peut en effet envisager que celui-ci soit opposé à plusieurs contre-
énoncés, selon le lieu où l’on situe la variation entre points de vue. Par conséquent, les élèves ne doivent
pas forcément rétablir un « bon » contre-énoncé, comme s’il n’y en avait qu’un seul possible, mais décider
de la discussion qu’ils souhaitent engager ensuite, en reconstruisant le contre-énoncé cohérent qui
introduirait à un tel débat.
Revenons rapidement sur le titre de la couverture d’une brochure de Swissaid, que nous avons déjà
donné en exemple (voir ci-dessus, parties 1.1 et 1.2), « L’égalité, une chance pour les femmes comme pour
les hommes ». Il s’agit d’abord de prendre conscience que le connecteur comparatif
comme
induit
l’existence ici de deux propositions corrélées : « L’égalité est une chance pour les femmes » et « L’égalité est
une chance pour les hommes ». Dès lors que l’on a rétabli cette structure, on peut ensuite se poser la
question – et la poser aux élèves – de savoir à quel type de contre-énoncé cette assertion « dédoublée » est
censée répondre. Ici, le thème est bien entendu la notion d’/égalité/ – ce que signale en partie le facteur de
position dans l’énoncé ; plus encore, même si le nom « égalité » se voit lesté de valeurs axiologiques et peut
ainsi être interprété comme un support de point de vue, il reste un terme ambivalent, raison pour laquelle il
peut incarner le thème d’un débat. En revanche, on saisit bien vite que le nom « chance », lui, est d’une part
extrêmement axiologique, et d’autre part absolument univoque dans cette valeur subjective ; c’est donc sur
lui que s’articule la prise de position, le jugement exprimé par l’énoncé. Le contre-énoncé doit alors se
construire avant tout par une reformulation antonymique de ce nom – « L’égalité est un malheur », « un
danger », etc. –, ou au moins par une neutralisation de l’évaluation positive que celui-ci convoque –
« L’égalité est sans effet ». Toutefois, comme l’énoncé de Swissaid est une assertion « dédoublée », il est alors
possible d’opérer cette reformulation sur diverses échelles : une opposition soit radicale – « L’égalité est un
malheur pour les femmes comme pour les hommes » – soit nuancée – « L’égalité est une chance pour les
femmes, mais un danger pour les hommes » ou « L’égalité bénéficie aux femmes sans concerner les
hommes ».
Pour compléter ainsi cette activité relative au rétablissement de contre-énoncés, le maître peut proposer
aux élèves de se pencher sur une série d’énoncés qui ouvrent vers une pluralité de débats, selon le contre-
énoncé qu’on rétablit – un contre-énoncé, il faut toujours le rappeler, qui doit offrir une cohérence
dialogique avec l’énoncé de départ, qui doit véritablement se présenter comme une intervention
déclenchant une réponse sous la forme de l’énoncé retenu, en d’autres termes une cohérence qui dérive de
l’énoncé lui-même et de sa structure. Voici d’autres énoncés dotés d’une certaine complexité syntaxique
pour lesquels les élèves pourraient fournir tous les contre-énoncés pertinents envisageables :
Chapitre 5. Construire un problème
Propositions pratiques
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« Le cinéma est un divertissement d’ilotes, un passe-temps d’illettrés, de créatures misérables, ahuries par leur
besogne et leurs soucis » (Georges Duhamel, in
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